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dimanche 23 août 2015

Prrou (Colette) (4)

 Un bouchon, pendu au bout d’une ficelle, se balance au gré du vent, sous la branche basse d’un tilleul. La Prrou le guette et, parfois, se précipite, folle et joueuse ; mais qu’elle nous aperçoive, et sa figure triangulaire se masque, aussitôt, de renoncement et d’amertume : «  Que fais-je ? À quels égarements frivoles allais-je céder, moi qui ai été si malheureuse ! Ces jeux ne sont point de ma condition, hélas, j’allais l’oublier... »
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 Son fils noir, mal peigné et diabolique, elle le couve passionnément, le caresse du geste et du seul mot qu’elle sache : « Prrou, prrou... » mais à notre vue elle s’élance, le terrorise d’une douzaine de taloches sévères, la patte sèche et le sourcil intransigeant : « Voilà comment on élève les enfants trouvés, chez nous ! »
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 Admirez, comme je fais, la roublarde Prrou. Regardez combien sa robe, ajustée et rase, imite les couleurs de la limace grise, la rayure du papillon crépusculaire. Un triple collier de jais barre son jabot, sobre parure de dame patronesse. Noirs aussi, les bracelets aux pattes fines et le double rang de taches régulières qui semblent boutonner sur le ventre la robe stricte. La Prrou est mieux que vêtue, elle est déguisée.
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 Le maintien est si modeste, la toison si sobrement nuancée, que vous n’avez peut-être pas remarqué la dureté cruelle du crâne large, la patte redoutable et nerveuse où s’enchâssent des griffes courbes, soignées, prêtes à combattre, la poitrine épanouie, les reins mouvants, enfin toute la beauté dissimulée de cette bête solide, faite pour l’amour et le carnage... 
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 Cette nouvelle de Colette fut publiée pour la première fois en 1913, et Colette y exerce, sans doute en parallèle aux Portraits de music-hall qu'elle écrit à la même période, son art du portrait, l'animal permettant d'être encore plus crue, cruelle et plus précise encore son observation de la nature... humaine.

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